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Le souffle fragile de la volonté : accompagner une patiente porteuse du VIH et atteinte d’un cancer
- 2 mai 2025
- Catégorie : APQS Rehab
C’est un matin gris de fin d’automne lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois. Son visage portait les marques d’une vie battue par les vents contraires, une existence qui, à chaque instant, semblait vaciller. Elle s’appelait Sophie – du moins, c’est ainsi qu’elle m’a été présentée – et elle portait en elle deux maladies qui se disputaient son corps : le VIH et un cancer, sournois et insidieux.
Sophie n’était pas là pour demander de l’aide, du moins, pas de prime abord. Comme beaucoup, elle hésitait, oscillant entre l’envie de se battre et le désir de tout abandonner. Son corps était fatigué, mais c’était surtout son esprit qui semblait envahi d’un épais brouillard. Nous avons commencé, alors, une danse subtile, celle des entretiens motivationnels, où les mots se tissent avec prudence, où chaque silence prend le poids d’un monde. Le premier entretien fut une exploration silencieuse, presque timide. Ses regards fuyants trahissaient son désarroi. Comment pouvait-elle affronter à la fois le stigmate du VIH et la cruauté d’un cancer envahissant, alors que son entourage se réduisait à l’ombre de sa solitude ?
Je savais que la clé serait de la guider sans la forcer, l’accompagner dans une prise de conscience progressive de ses forces, plutôt que de lui imposer des solutions toutes faites. Un des fondements de l’entretien motivationnel est cet espace de respect, où la personne, dans sa vulnérabilité, devient l’architecte de son propre changement. Sophie avait besoin de retrouver cette sensation de maîtrise, dans un monde qui semblait vouloir tout lui retirer.
Au fil des séances, j’ai senti en elle des frémissements de changement. D’abord discrets, presque imperceptibles, mais présents, comme un murmure au fond d’une vallée. Lors de notre troisième rencontre, elle a parlé pour la première fois de “choix”. Ce mot, pourtant si simple, résonnait comme une libération. Elle ne se sentait plus seulement une patiente passive, mais une personne en mouvement, prête à prendre en main son traitement, à envisager une rémission, aussi infime soit-elle.
Les peurs n’ont pas disparu, loin de là. Elles étaient souvent présentes, comme une marée montante, menaçant d’étouffer chaque pas en avant. Mais ensemble, nous les avons nommées, apprivoisées, et parfois même tournées en dérision. Sophie a appris à comprendre que, même dans l’incertitude, elle pouvait faire un choix. Ce ne serait pas toujours celui du courage éclatant, mais plutôt celui du quotidien, du minuscule geste qui, à force de répétition, devient une décision de vivre.
L’entretien motivationnel, dans ce contexte, est un outil subtil, une boussole qui n’indique pas une direction précise, mais qui permet à la personne de définir son propre nord. Sophie a fini par accepter de rencontrer les médecins spécialisés, à accepter l’idée d’une chimiothérapie. C’était son choix. Nous l’avions préparé ensemble, doucement, sans précipitation.
Je me souviens de notre dernier entretien, quelques mois plus tard. Elle était plus sereine, malgré la lourdeur des traitements, et avait retrouvé un certain éclat dans le regard. Nous avons conclu notre séance par un sourire partagé, comme une promesse silencieuse que, quelles que soient les prochaines étapes, elle avait en elle les ressources pour y faire face.
Accompagner Sophie n’a pas été un parcours linéaire. Ce fut un chemin sinueux, où chaque entretien dévoilait une nouvelle strate de ses résistances, de ses peurs, mais aussi de son courage. Ce processus, aussi imparfait qu’il puisse paraître, a permis à Sophie de devenir actrice de sa propre prise en charge, de redonner du sens à sa vie, malgré les épreuves.
Et dans cette fragile équation entre la vie et la mort, Sophie a choisi de marcher, non pas dans l’ombre de ses maladies, mais avec elles, les transformant en compagnes de route, sans jamais leur laisser prendre les rênes de son existence.
Dans cet accompagnement, j’ai compris, une fois de plus, que la motivation ne se donne pas ; elle se révèle.
